2010, l’année où tout va basculer à cause de trois lettres : SLA ; trois mots : Sclérose Latérale Amyotrophique ; un nom : Charcot.
Un mot que j’ai retenu quand la neurologue m’a annoncé la maladie au bout de huit mois d’angoisse, d’inquiétude, d’examens, d’hôpitaux, et une opération, pour retenir : Incurable.
J’avais 38 ans, j’avais des projets, des enfants à élever, et on vous dit « surtout n’allez pas sur internet vous informer ». On vous annonce votre mort et on vous dit de ne pas aller sur internet. Pourquoi me dire ça, alors que je ne sais rien de ce qui va attendre ?
Je n’étais plus dans le monde réel quand je suis sortie de son bureau. Je pensais à mes fils et mon mari, je voyais mes fils sans moi alors qu’ils avaient besoin de moi. Comme allaient-ils faire ? La route a été longue, très longue.
Je me souviens comme si c’était hier, d’être devant l’ordinateur et là je découvre une photo d’un homme, le visage sans expression, avec un tuyau dans son cou. J’ai de suite fermé la page. Le temps est passé, en une année j’avais perdu la capacité de me tenir debout et je ne pouvais plus prononcer les prénoms de mes trois fils.
Vous vous imaginez, vous, dans votre maison, vouloir appeler un de vos enfants et son prénom n’a plus aucun sens à la sortie. Puis le temps passe. Un enfant vient de se faire très mal, vous êtes là, votre fils vous réclame mais vous ne pouvez rien faire, juste hurler pour qu’on vous le donne sur vos genoux pour le consoler, mais non, on ne vous le donne pas, il faut que je me calme avant, mais ils n’ont pas compris que je ne hurle pas, mais tout simplement que je parle, je leur dis tout simplement de me le donner que j’allais le calmer. Mon fils est parti avec les pompiers, avec son frère de quatorze ans et son père. Vous savez la frustration d’être incomprise, se sentir inutile auprès des siens. Dix ans que je souffre et fait souffrir les miens.
Vous savez ce qu’elle nous fait subir cette putain de SLA loperie. Eh bien non, je serais bien curieuse de savoir si vous la connaissez. Parce qu’elle, on ne la connaît pas, que ce soit dans les hôpitaux, les soignants, les kinésithérapeutes et j’en passe. Je suis finalement allée voir sur internet, et je me suis fait beaucoup d’amis qui avait la SLA, j’ai créé mon association et j’ai réalisé des manifestations. J’ai perdu beaucoup d’amis qui comme moi, attendaient un traitement pour nous guérir. J’ai des amis qui sont partis en Suisse pour se faire euthanasier. Ils n’y croyaient plus et en avaient surtout marre de dépendre des autres.
Oui, je dépends des autres. J’ai eu mon mari pour le meilleur et pour le pire. J’étais la plus heureuse, on a fait des croisières avec mon handicap, on a fait du camping, on en a fait des choses pendant cinq ans puis un jour tout change, il devient agressif, puis violent. Je mets ça sur la fatigue. Et un beau jour, il m’annonce qu’il a quelqu’un d’autre. C’est le monde qui s’écroule à mes pieds surtout que cette femme, je la côtoie régulièrement, puisque c’était la femme de ménage. Je l’avais prise pour le soulager, je peux dire qu’elle l’a soulagé d’ailleurs, elle le soulage encore. Mais bon, tout ça pour dire que du jour au lendemain, je me suis retrouvée seule avec mes enfants et ma maman âgée de soixante-dix ans qui est venue vivre avec moi, sans savoir comment il fallait faire pour s’occuper de moi, sa fille invalide, devenue muette. Elle a dû tout apprendre, je l’ai épuisée, ma mère. J’ai dû me battre encore une fois pour avoir des aides humaines et puis m’occuper de mon divorce, de mes enfants.
Je me suis coupée du monde pour plusieurs raisons ainsi que de mes amis sla. Pourquoi je me suis coupée de mes amis sla ? Tout simplement parce qu’ils s’éteignaient. Chaque jour, un papillon s’envole. Et ça vous rappelle que vous aussi vous allez y passer.
Dix ans, je suis encore là. Je n’ai rien de plus que les autres, je n’ai eu droit à aucun essai clinique, j’ai même arrêté de m’intéresser à la recherche. Sauf qu’un jour, j’ai discuté avec Virginie et je me souviens lui avoir dit de faire attention à elle, parce ça fait mal de croire à quelques choses qui aboutira pas. Et aujourd’hui, nous voilà tous les cinq à croire en la transplantation de matière fécale, nous avons qu’à gagner en voulant essayer cette TMF qui peut nous faire que du bien. Et, pourquoi pas nous guérir.
La SLA est une grande famille qui est très unie, car nous savons faire face à des choses de la vie qui nous rendent plus forts, plus judicieux, plus combattants. Nous avons le droit d’avoir un traitement pour nous guérir. Nous voulons retrouver nos pouvoirs, pour embrasser, serrer nos enfants dans les bras, manger, respirer, danser, chanter et arrêter de dépendre des autres.
Je suis Sandrine Moro âgée de quarante-sept ans et maman de trois garçons.
Je suis fière d’être dans ce groupe de cinq combattants et je les remercie. Merci Virginie, Hélène, Karine et Gégé. On ne lâchera pas, on veut la TMF contre la SLA. Puisque rien ne vient à nous, on vient vers vous.
Sans les mains Le 08/08/2020